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Droit disciplinaire

Invoquer une faute du salarié connue depuis 9 mois, c’est possible à certaines conditions

Sanctionner une faute d’un salarié suppose, sauf exception, d’engager la procédure dans les 2 mois de la connaissance des faits. Un employeur peut néanmoins prendre en considération un fait antérieur lorsque le comportement du salarié s'est poursuivi ou réitéré au-delà du délai de 2 mois.

Un licenciement disciplinaire justifiée par l’employeur sur la base d’un audit remontant à plus de 8 mois

Dans l’affaire jugée par la Cour de cassation le 1er juin, un salarié « cadre chef de cuisine gérant » avait été licencié pour faute grave par une lettre du 20 juillet 2016, après avoir été convoqué à un entretien préalable par lettre du 1er juillet 2016.

Le salarié a attaqué son employeur en justice en vue de le faire condamner pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Tout en écartant la qualification de faute grave (mais ce n’est pas le point qui nous intéresse ici), la cour d’appel a néanmoins estimé que le licenciement était justifié par un audit dressé sur la journée du 16 octobre 2015 ayant permis « de constater qu'indépendamment de la vétusté des locaux et de l'organisation du service, le salarié, chef de cuisine, avait manqué aux règles élémentaires d’hygiène et de sécurité en matière de nutrition et de conservation ou stockage des aliments, contrairement à ce que prévoyait son contrat de travail et la fiche de poste jointe ».

Devant la Cour de cassation, le salarié a maintenu que son licenciement n’était pas fondé sur une cause réelle et sérieuse, puisque les faits étaient prescrits faute pour l’employeur d’avoir engagé la procédure dans les 2 mois (fautes du 16 octobre 2015 / courrier de convocation à un entretien préalable du 1er juillet 2016).

Selon le salarié, hors cas des poursuites pénales, sanctionner un fait fautif dont on a connaissance depuis plus de 2 mois suppose que le comportement se soit poursuivi au-delà de ce délai, ce que la cour d’appel n’avait pas constaté.

Invoquer une faute une fois le délai de 2 mois passé, c’est possible si le salarié a persisté dans son comportement

À partir du moment où l’employeur a connaissance d’une faute commise par un salarié, il a en principe 2 mois pour engager une procédure disciplinaire (c. trav. art. L. 1332-4) en convoquant le salarié à un entretien préalable ou en le mettant à pied à titre conservatoire (cass. soc. 15 avril 1996, n° 93-40113 D) ou en lui notifiant un avertissement (s’il ne nécessite pas de passer par la case « entretien préalable »).

L’employeur doit donc agir rapidement, à défaut de quoi la sanction sera annulée.

Par exception, lorsqu’un salarié persiste dans son comportement fautif, l’employeur peut invoquer non seulement les faits dont il vient de prendre connaissance, mais aussi des faits prescrits (donc remontant à plus de 2 mois), sous réserve qu’ils soient de même nature (cass. soc. 4 juillet 2012, n° 11-19540 D). Par exemple, il peut ainsi sanctionner une faute « continue » qui a débuté il y a plus de 2 mois (cass. soc. 1er avril 2003, n° 01-40507 D).

À noter : le fait que l’employeur ait déjà sanctionné la faute prescrite ne lui interdit pas d’en faire mention lorsque le salarié commet à nouveau la même faute (la 1re faute n’est pas une nouvelle fois sanctionnée – ce qui est interdit – mais simplement invoquée pour justifier la persistance du comportement du salarié et justifier le cas échéant une sanction plus lourde). Mais attention, aucune sanction remontant à plus de 3 ans ne peut être invoquée à l’appui d’une nouvelle sanction (c. trav. art. L. 1332-5).

La solution de l’affaire du 1er juin 2022

Dans notre affaire, la Cour de cassation souligne effectivement qu’un employeur peut prendre en considération un fait antérieur à 2 mois dans la mesure où le comportement du salarié s'est poursuivi ou réitéré dans ce délai (c. trav. L. 1332-4).

Mais elle pointe aussi que la cour d’appel n’a pas vérifié si le comportement fautif du salarié s'était poursuivi après les conclusions du rapport d'audit du 16 octobre 2015 (pour un procédure disciplinaire a engagée début juillet 2016, plus de 8 mois plus tard).

L’affaire devra donc être rejugée sur ce point.

Sort du délai de 2 mois en cas de poursuites pénales
Cette règle n’était pas en cause dans l’affaire du 1er juin 2022, mais rappelons que le délai de 2 mois est interrompu lorsque les faits en cause donnent lieu dans ce même délai à l’engagement de poursuites pénales (c. trav. art. L. 1332-4).
Dans ce cas, le cours du délai est interrompu :

-jusqu’à la décision définitive de la juridiction pénale, si l’employeur est partie à la procédure pénale (cass. soc. 6 décembre 2000, n° 98-45772, BC V n° 411) ;

-ou jusqu’au jour où l’employeur établit avoir eu connaissance de l’issue définitive de la procédure pénale, s'il n’est pas partie à cette procédure (cass. soc. 15 juin 2010, n° 08-45243, BC V n° 132).

Cass. soc. 1er juin 2022, n° 21-11620 D